Oradour Sur Glane – 10 juin 1944

À ORADOUR-SUR-GLANE DES TOURISTES SE SOUVIENNENT

Suzanne et Louis arrivent ce matin-là à 10 heures à Oradour-sur-Glane. Partis de Bordeaux où ils habitent, ils s’apprètent à découvrir le centre de la mémoire.«J’étais déjà venue visiter le village il y a quelques années, raconte Suzanne. Mais je n’avais encore jamais vu le centre de la mémoire. Quand je viens ici, je suis toujours très émue. J’étais petite, mais je me souviens très bien du jours où mes parents sont partis pour Auschwitz… ».

Pénétrant avec d’autres visiteurs dans le “parcours de mémoire”, Suzanne et Louis s’arrêtent quelques instants pour détailler les premiers panneaux qui racontent comment tout a commencé : «Le nazisme est né en Allemagne de conflits intérieurs issus de la défaite de 1918…» Suzanne survole les textes, évite du regard les dix portraits d’Hitler qui composent le haut du panneau. Louis détaille les photos noir et blanc qui témoignent de l’ouverture des premiers camps de concentration en mars 1933, regarde Suzanne, qui confie les larmes aux yeux : «Je ne souhaite à personne de vivre ça…»

Retour vers le passé

Dans la pénombre et le silence, Suzanne et Louis poursuivent leur visite. Devant eux, un enfant lit le panneau suivant. Il découvre que le maréchal Pétain est venu en Limousin les 19 et 20 juin 1941 et qu’il s’est rendu à Saint-Léonard, à La Jonchère, au camp de Valmatte, à Ambazac, à Saint-Junien et à Limoges. Suzanne, elle, relit une phrase du discours radio de Laval, datant du 12 juin 1942 : «Je souhaite la victoire allemande parce que sans elle le bolchévisme demain s’installerait partout». Elle hausse les épaules et s’engage vers d’autres panneaux traitant de la Résistance en Limousin. Là, elle détaille chaque portrait : Edmond Michelet, Georges Guingouin, Georges Dumas, Jean Gagnant, Jean Faure, André Boissière… Louis de son côté regarde une photo du Général de Gaulle et lit un texte sur l’appel du 18 juin 1940.

Ne jamais oublier

Dans la salle de projection, le film a déjà comencé. C’est le récit du drame. Témoignages des rescapés, aveux des exécuteurs… Pendant 12 minutes, le film retrace les évènements du 10 juin 1944. Suzanne et Louis écoutent attentivement. Sur les panneaux, des témoignages écrits complètent ceux du film. Suzanne commence à lire celui de Jean Pallier, arrivé la veille au soir pour retrouver son épouse et leurs deux enfants et qui pénétra dans le bourg incendié : «C’est alors, se rappelle-t-il, que je me dirigeais vers les charniers déjà découverts, le spectacle était horrifiant. Au milieu d’un amas de décombres, on voyait émerger des ossements humains calcinés, surtout des os de bassin. Dans une dépendance de la propriété du docteur du village, j’ai trouvé le corps calciné d’une enfant dont il ne restait plus que le tronc et les cuisses…» Le témoignage est encore long, mais Suzanne n’a pas le courage d’en lire plus. La visite se termine. Louis sort de son silence. «Pendant longtemps je n’ai pas pu revoir ces images. Parce que pour moi ce ne sont pas des photographies, ce sont des morceaux de ma vie. On aurait du tirer un trait sur ces souvenirs, mais les hommes ont souvent la mémoire courte et il est important aujourd’hui que les jeunes générations sachent ce qu’il s’est passé et qu’ils se méfient…»

Louis entre dans la dernière salle. Elle est sombre et nue. Le sol est ponctué de lumières rouges éparpillées. Des citations lumineuses, sont incrustées par terre. Louis en retient une. Celle de Georges Santayana : «Ceux qui oublient le passé se condamnent à le revivre».

Une poussette glisse sur le sol, poussée par un enfant. Louis le regarde s’éloigner, cherche le bras de Suzanne, et s’engage dans le souterrain pour aller visiter le village martyr.

Anne-Sophie PEDEGERT, La Montagne Centre-France du Dimanche 10 septembre 2000

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