Oradour Sur Glane – 10 juin 1944

Tous les ans à cette époque, les 280 adhérents de la section Haute-Vienne de la société d’entraide des membres de la Légion d’Honneur (SEMLH) tiennent leur assemblée générale. Cette réunion, qui se déroulait samedi matin à Oradour-sur-Glane, revêtait un caractère particulier. En effet, après 47 ans d’abscence, la Légion d’Honneur est revenue au village martyr. A l’hôtel de ville, devant Pierre Mutz, préfet de région, nombre de personnalités et le général Arsène Woisard (mandaté par le président de la République Jacques Chirac), le maire, Raymond Frugier, a rappelé les raisons qui ont poussé les familles des victimes à refuser, en mai 1953, la plus prestigieuse des décorations.

Retour en arrière… C’est par un décret du 28 février 1949, comportant l’attribution de la croix de guerre 1939-1945 avec palme, publié au «Journal Officiel» du 27 avril 1949, que la Légion d’Honneur fut attribuée à la ville d’Oradour-sur-Glane. Elle fut décernée, selon la citation, à «ce bourg martyr qui a été le théâtre d’une tragédie humaine unique en son horreur dans les annales de la guerre».

Le 22 mai 1949, le maire, M. Faugeras, décide avec l’accord de son conseil municipal de ne pas accepter cette décoration «tant que ne seront pas jugés et châtiés les bourreaux qui participèrent au massacre».

Le premier magistrat de la ville précisait dans le même temps qu’il n’assisterait pas à la cérémonie commémorative du 10 juin au cours de laquelle il était procédé à cette remise officielle par le président du Conseil et le ministre de la Défense.

Mais l’association des familles ne l’entendit pas de cette oreille. Lors d’une scéance extraordinaire, elle confirmait, à l’unanimité de ses 24 membres, la décision prise de recevoir, le 10 juin, les représentants du gouvernement chargés de remettre à Oradour la croix de la Légion d’Honneur.

Un climat tendu

Dans une lettre adressée au maire et à ses conseillers, l’association rappelait que la Légion d’Honneur avait été décernée aux morts d’Oradour, qu’elle leur était due, et que l’on devait à leurs martyrs «d’accepter cette reconnaissance de la nation». L’association des familles souhaitait néanmoins que le jugement et le châtiment des bourreaux suivent rapidement.

Le 10 juin 1949, soit cinq ans après l’horrible massacre, Paul Ramadier, ministre de la Défense, remettait comme convenu la Légion d’Honneur à deux orphelins : Alain Texier, 7 ans, et Paule Tessaud, 5 ans, dans un strict cérémonial militaire.

Le maire et ses conseillers n’assistaient pas à cette cérémonie. Deux jours plus tard, ils organisèrent un grand «rassemblement pour la paix» auquel assistaient Frédéric Joliot-Curie, haut commissaire à l’énergie atomique, et de hautes personnalités, parmi lesquelles Louis Aragon et Elsa Triolet.

Célébré dans la division, ce cinquième anniversaire suscita de vives polémiques. «Pourquoi faut-il qu’Oradour subisse un autre martyre en étant le théâtre de manifestations discordantes ?» Interrogeait la presse locale.

A ces mauvaises querelles s’ajoutèrent le procès de Bordeaux et le vote de la loi d’amnistie en faveur des incorporés de force (les malgré-nous) dans les armées nazies, et notamment la trop célèbre division Das Reich.

Indignée, l’association des victimes s’opposa formellement au transfert des cendres des martyrs dans la crypte construite par l’État. Elle demanda de faire apposer à l’entrée de l’ancien bourg des panneaux portant les noms des parlementaires ayant voté cette loi. De ne plus accepter la présence de représentant du gouvernement aux différentes cérémonies et de renvoyer la Légion d’Honneur et la Croix de Guerre.

Le 20 février 1953, jour de l’adoption de la loi, une délégation se rendit à la préfecture pour rendre au représentant de l’État la Légion d’honneur et adressa, par l’intermédiaire du préfet une lettre au président de la République, Vincent Auriol, qui se terminait par : «Oradour, symbole de la barbarie, sera aussi désormais le symbole du crime impuni».

Cette démarche toutefois, ne fut jamais suivie d’effets. Aucun retrait de la croix de la Légion d’honneur et de la croix de guerre ne fut jamais prononcé. Une lettre récente du bureau des décorations précise même que ces deux titres restent acquis à cette commune. «qu’elle doit les conserver à titre perpétuel. Et qu’elle peut même, si elle le souhaite, les faire figurer dans ses armoiries»..

Pour raymond Frugier, maire actuel, la ville avait le devoir moral de recevoir ce brevet et de l’installer en bonne place à l’hôtel de ville. «Il fallait, rappelle-t-il, normaliser cette situation pendant qu’elle est soutenue par les souvenirs de ceux qui ont vécu ces périodes difficiles et douloureuses»..

Européen convaincu, le maire d’Oradour souhaite, et a mis en chantier, un rapprochement avec l’Allemagne et une réconciliation avec l’Alsace. «L’Europe économique est une réalité. Pensons à construire l’Europe des esprits. Celle-ci ne se fera que par des rapprochements et des réconciliations»..

Petit-fils du maire Paul Desourteaux, qui s’est offert avec sa famille en otage aux bourreaux le 10 juin 1944, André Desourteaux soutient cette initiative de Raymond Frugier. Depuis samedi, le diplôme de la Légion d’Honneur a retrouvé la mairie d’Oradour. Mais il porte la signature de jacques Chirac, l’original ayant été égaré…

J.-F. JULIEN – Le populaire du centre du Lundi 23 Octobre 2000

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