Chabatz d'entrar

De celui qui vient de mourir, on dit aujourd’hui, avec quelque désinvolture, qu’ “il a cassé sa pipe “. Jadis et naguère, les Limousins “cassaient leur écuelle” (plutôt en haut Limousin) ou “laissaient leur écuelle” (en bas Limousin ). D’où vient cette expression ?

Il faut d’abord savoir, pour la bien comprendre, que la vaisselle était réduite, jusqu’au début du XXème siècle, dans les campagnes mais aussi dans les quartiers populaires des villes, aux plus élémentaires besoins, comme en témoignent les inventaires après décès. Jusqu’au XIXème, cette vaisselle était fabriquée et vernie par les potiers, ceux de Duris, de Magnac-Bourg, de Rochechouart, de Thiat, par exemple.

Pour cette raison essentielle, et parce que chacun aimait bien conserver son propre couvert, le père de famille, plus encore que son épouse, s’attribuait une écuelle qui avait valeur symbolique parce qu’on y prenait, sous forme de soupe, l’essentiel de l’alimentation, quelquefois au lever (préparée la veille, elle coumait après au foyer), au déjeuner et au … souper. La plupart des hommes ne trouvaient bonne la soupe que dans leur écuelle qui n’était pas souvent lavée, mais retournée sur la table – et marquait la place réservée au pater familias – ou sur la maie.

ATTACHEE AU PROPRIETAIRE

Dans le temps “, la soupe était la vie, comme l’écuelle attachée à son propriétaire. Si elle venait à se fendre, on se hâtait de la cercler d’un fil de fer, lo fresso ou même d’en maintenir les deux parties avec une agraffe métallique. Quand on devait utiliser une écuelle neuve, il fallait auparavant, dit Albert Goursaud, l’assainir, c’est à dire l’emplir de cendre, la mettre dans le four chaud pour qu’elle craquelle et perde son odeur de terre argileuse.

Aussi, quand survenait un décès, on ne séparait pas la personne et l’écuelle qui l’avait nourri et accompagné souvent dès l’enfance. Elle était placée au chevet du mort, remplie d’eau bénite, avec le brin de buis servant d’aspersoir : elle devenait ainsi pourvoyeuse d’éternité. Quand le cortège – le cercueil porté à l’épaule, jadis le corps dans un drap blanc cousu – quittait la maison pour suivre, jusqu’à l’église, le “chemin des morts “, l’écuelle l’accompagnait. Selon les pays limousins et les coutumes locales, elle était soit brisée à la sortie du territoire familier, le village ou hameau, sur le socle de la croix de carrefour, soit déposée sur la tombe (on peut encore voir quelque bols, à défaut d’écuelles, sur les tombes des cimetières de la Basse Marche).

L’écuelle est dite, en haut Limousin escunlo ou escueilo et plutôt escudélo en Corrèze. La petite écuelle était escunlou et son contenant l’escuélado ou escunlado.

Béronie, dans son dictionnaire (1823), dit qu’aux environs de Tulle ” chaque membre de la famille a une écuelle particulière (et que) les filles qui entrent dans une maison y en apportent ordinairement une “. Il ajoute que dans le quartier du Trech ” quelques hommes joyeux avaient formé une société bachique (et) servaient au lieu de verres, de petites écuelles “. Ils en attachèrent même au mai qu’on plantait à cette époque. Aussi avait-on appelé les habitants du quartier, lous Escunlous !

M Robert, La Montagne Centre France 05/04/1998

Haut de la page