Saint-Pardoux Radioactif – 19/11/1998

Bruno Chareyron, ingénieur à la CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité) a réalisé du 9 au 11 septembre 1998 des contrôles radiamétriques sur trois sites: le Puy-de-l’Age, Bellezane et Bessines ainsi que des prélèvements de boue, de sédiments et de mortier pour des analyses en laboratoire.

De telles mesures avaient déjà été effectuées en 1993, et il semble que les conclusions soient les mêmes: les dispositifs de surveillance de la COGEMA ne donneraient pas des résultats satisfaisants, les eaux seraient polluées et des déchets radioactifs directement “accessibles” au grand public à des doses non négligeables.
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“Des mesures de prévention doivent être prises”

La route de Lavaugrasse est un lieu public où des appareils de mesure ont été installés par la COGEMA. A l’endroit même de l’appareil, les résultats de la COGEMA et de la CRIIRAD sont similaires. Par contre, il semble qu’à quelques mètres de là, les taux de radiation soient plus élevés. “Les capteurs mis en place par la COGEMA et son laboratoire ALGADE n’étaient pas situés en des lieux représentatifs de l’irradiation réelle.” Si l’on considère le schéma ci-dessous, on constate un taux très supérieur aux normes dans le fond du bassin. Ce lieu ne faisant l’objet d’aucune mesure spéciale de sécurité, la CRIIRAD demande une fermeture au grand public.

Concernant les eaux, un fort taux de contamination a été relevé sur le ruisseau de Bellezane. Des sédiments en ont été extraits pour analyse. Pour la CRIIRAD, il y a “des risques de transfert vers les plantes et la faune aquatique, et vers l’homme via les produits laitiers ou la viande des bêtes qui paissent dans les prairies alentours.” Il faudrait donc une signalisation des risques et une décontamination des zones touchées, d’autant que la contamination du milieu aquatique de surface dépasse le ruisseau de Bellezane. “C’est l’ensemble du réseau hydrologique qui est concerné avec des variations sensibles. Accumulation dans les cours d’eau à faible débit ou plus encore dans les mares et les lacs (Saint-Pardoux par exemple). Phénomène de dilution et de transport à longue distance dans les cours d’eau à plus fort débit et à régime plus torrentiel (comme la Gartempe).” Dernier sujet abordé, les déchets radioactifs dans l’environnement accessible. “Un des bassins de décantation de Puy-de-l’Age est situé en contrebas du chemin. Il n’est pas grillagé et aucun écriteau n’en limite l’accès.” Un échantillon prélevé avait une activité supérieure aux taux en vigueur, ce qui fait dire au laboratoire qu’un enfant qui jouerait dans le bassin asséché subirait des doses “inacceptables”. Là-encore, la CRIIRAD demande des mesures de sécurité pour en interdire l’accès au grand public.
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Des risques à long terme

Ces trois cas sont pour la CRIIRAD la preuve d’une “responsabilité de l’Etat et de la COGEMA”. “La substance (l’uranium) est certes naturelle, mais elle est dangereuse et ne doit donc pas être manipulée près des villages sans les sécurités qui n’ont pas été respectées ici. Il faut donc agir avant le départ de la COGEMA, d’autant que le problème des rejets souterrains est majeur.” Ce dernier point concerne des rejets de détritus radioactifs vers les zones souterraines où il y a accumulation de radioactivité qu’il faut traiter aujourd’hui. La période radioactive des nucléides présents dans les déchets miniers est en effet longue (75 000 ans pour le thorium 230). C’est donc sur un long terme que des effets sont encore à craindre, bien après le départ des principaux pollueurs.

Ces nouvelles analyses relancent le débat sur les responsabilités des diverses sources de pollution. La CRIIRAD a aussi voulu condamner le stockage à Bessines des 200 000 tonnes d’uranium appauvri. “L’étude conduite en 1993 avait déjà montré que des tonnes de déchets radioactifs sont stockés sur le site de Bessines dans des conditions tout à fait irrégulières. Le système officiel de comptabilisation conduit à une sous-évaluation considérable de la radioactivité des stockages et donc de leur dangerosité.”

Le laboratoire demande donc “des préalables à tout apport de nouveaux déchets radioactifs en Limousin – en particulier le recensement, la mise en sécurité et la décontamination des zones polluées le cas échéant -, la définition des conditions de gestion à long terme des stockages – qui est responsable, jusqu’à quand et qui va financer – et la mise en oeuvre d’une surveillance correcte et la stricte application des limites et principes de radioprotection”.

Des points de débat qui sont finalement récurrents. Les points de mesure de la CRIIRAD ne peuvent être, apparemment, mis en doute, d’autant qu’ils utilisent les mes appareils de mesure (compteur proportionnel étalonné par le Commissariat à l’Energie Atomique) que ceux des laboratoires diligentés par le Conseil général au début de l’affaire. La nouveauté vient du fait que ces mesures sont effectuées par un laboratoire indépendant et reconnu, ce qui n’évite pas des combats d’intérêts, mais qui élargi le débat. L’association des vases de Saint-Pardoux et du stockage d’uranium à Bessines était, quant à elle, inévitable. Ces deux affaires n’en finissent plus d’empoisonner des débats scientifiques de chiffres et de mesures. Évidemment, le Limousin n’est pas (et ne sera jamais Tchernobyl. Les risques n’y sont pas du tout comparables, il faut le répéter, et il n’y a pas matière à paniquer. Mais pour la CRIIRAD, la dangerosité reste suffisante. Le Limousin est un domaine de faibles doses radioactives. Cela ne veut pas dire que le niveau y est banal.

Nicolas YARDIN, écho du centre du 19 novembre 1998
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