Des centaines de témoignages, et un FN facho qui se rabougrit devant les juges. Doucement, le FN de la Résistance reprend ses droits.
Il faut se méfier. On en viendrait presque à les prendre en pitié. Cela fait vingt-sept minutes que MeLaviolette-Slanka plaide, pour Le Pen, face à Mégret. Face à Charlie Hebdo et aux résistants. Et déjà, toute l’audience c’est assoupie.
Cela fait près d’une demi-heure que l’avocat revendique, pour son client, la propriété exclusive du titre Front national. Et qu’il enchaîne les détails sans suite aux considérants pinailleurs, avec autant de conviction que l’horloge parlante. Tout le monde s’est déjà assoupi. Quand, soudain, le président exaspéré, le coupe : “Soyez gentil, Maître, de bien vouloir conclure.“
Mercredi 3 février. Il est 15 heures, devant la première chambre de la cour d’appel de Paris. L’avocat de Le Pen vacille, comme giflé par un parpaing. Il tente de poursuivre. Mélange tout pour faire bref. Puis, peu à peu, sa voix s’éteint sous les dorures. Au point que personne ne se rend compte, quand il a terminé, que c’est enfin fini. Les jeunes fachos ne font guère mieux. MeCrevon, pour les mégrétistes, tente une astuce vaseuse. En substance : “Le Pen veut nous interdire l’appellation “Front national”. Mais sa plainte est rédigée au nom du FN. Or le vrai FN, c’est nous. Donc tout cela n’a pas de sens.” Les mouches elles-mêmes baillent comme des huîtres.
Puis MeMalka plaide pour Charlie. Et MeBorker, au nom des résistants du mouvement Front national. Lui-même ancien résistant, FTP. Il parle des maquis. Evoque ses camarades, tués, déportés. Et des plaques, que l’on casse aujourd’hui, parce qu’elles portent un titre que Le Pen a volé. Celles des fusillés. ” C’était cela, le Front national. Et il fallait que ce soit dit. Pour qu’on puisse à nouveau le lire dans les livres d’histoire.” Sa voix, qui faisait tonnerre, se casse soudain. Et la cour, pudiquement, feint de prendre pour un mal de gorge un gros bout de sanglot.
Les procès se suivent et se ressemblent. Il y a trois semaines, en référé, l’histoire avait fermé le bec aux criailleries des fachos. Et le tribunal avait jugé les demandes de Charlie et des résistants aussi recevables que les leurs. Mercredi dernier, encore, l’avocat de Charlie a rappelé que ce journal a déposé à ‘INPI la marque “Front national”. Pour la rendre à ceux qui se sont battus contre les valeurs que représentent, aujourd’hui, Mégret autant que Le Pen. Et le procureur a encore demandé à la cour de reconnaître les demandes de Charlie et des résistants comme parfaitement recevables. Avant qu’intervienne un procès sur le fond.
Avis, donc, aux centaines d’anciens résistants qui nous ont adressé les cartes, les journaux, du vrai Front national. Les tracts brunis. Les journaux en dentelle, pour prouver que la vérité n’avait ni changé ni vieilli. Nous n’avons pas eu le temps de répondre à chacun. Mais ils n’ont pas gâché leurs timbres. Lorsque la cour d’appel de Paris prononcera son jugement, il y a peu de chances qu’elle désavoue les conclusions du procureur.
Ou alors, si elle donne raison à Le Pen, c’est uniquement dans l’espoir de ne plus jamais entendre une plaidoirie de MeLaviolette-Slanka…
François Camé et Anne Kerloc’h, Charlie Hebdo du 10 février 1999.
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