LA RESISTANCE ATTAQUE !
Serge Martinez aurait déposé “Front national” avant Charlie. Mais un représentant de la Résistance veut faire annuler ce “dépôt frauduleux”.
Ils n’ont pas de chance, au FN. La semaine dernière, les résistants sont entrés, à leur tour, dans la bagarre. Au cote de Charlie, pour interdire aux lepénistes, comme aux mégrétistes, l’utilisation du sigle “Front national”.
Le 1er janvier, René Roussel, représentant légal du mouvement de résistance “Front national”, a adressé au directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) une lettre sans ambiguïté.
Extraits: ” Monsieur le Directeur, j’ai été nommé par le ministre de la Défense liquidateur national de mouvement de Résistance Front national, le 12 avril 1979. A ce titre, je vous demande de refuser la publication de la demande d’enregistrement de la marque “Front national” faite auprès de vos services par M. Serge Martinez, le 10 décembre 1998.“
” Il ne me choque pas qu’un journal antifasciste dépose cette marque, surtout quand il affirme vouloir “la rendre aux résistants “. Mais nous se saurions tolérer de voir un emblème qui a contribué à la victoire sur le nazisme tomber entre les mains de ceux que la justice juge légitime de qualifier, aujourd’hui, d’héritiers spirituels de Hitler.“
C’est bête. Serge Martinez était tout content, la semaine dernière, d’annoncer qu’il avait déposé “Front national” à l’INPI huit jours avant Charlie. Et voilà qu’on lui casse son coup.
Déjà, l’opération sentait un peu le faisandé. Martinez, mégrétiste récent et fasciste de longue date, aurait déposé la marque le 10 décembre. Mais il a attendu dix-neuf jours avant de révéler son exploit à la presse. L’Institut national de la propriété industrielle (INPI), lui-même, a sérieusement lambiné avant de faire apparaître ce dépôt sur la banque de données. Elle ne serait apparue sur les écrans de l’INPI que le 26 décembre, soit seize jours après son dépôt – et huit jours après celui de Charlie…
Ami, entends-tu le cri sourd des fachos qu’on emmerde ?
Des esprits chagrins ont trouvé un peu bizarre cette série de retards à l’allumage. Mais promis, juré : nul fonctionnaire de l’INPI ne saurait antidater un dépôt pour sortir un néonazi d’une situation embarrassante.
Au demeurant, peu importe. Puisque cela ne fait pas vraiment le jeu des fachos. Pour Le Pen, c’est même pire – puisqu’il va devoir faire un double procès s’il veut récupérer le “Front national”. Et pour les mégrétistes, ce n’est guère mieux.
Déjà, l’INPI avait publié un communiqué, la semaine dernière, indiquant que, de toute façon, les deux dépôts de marque – celui de Charlie et celui de Martinez – “seraient publiés au Bulletin Officiel de la propriété industrielle “. Depuis, la lettre de René Roussel a encore changé la donne.
Créé en 1941 par le Parti communiste, pour regrouper toute la gauche face aux nazis, le “Front national” était, bien avant que Le Pen usurpe ce titre, un des grands mouvements de Résistance de la France occupée. Et 12000 de ses membres sont encore en vie. Plus embêtant pour les fachos : juridiquement, la dénomination “Front national” n’a pas cessé d’exister et d’être créatrice de droits depuis la guerre. Comme le rappelle René Roussel, le ministre de la Défense a régulièrement nommé des “liquidateurs nationaux du Front national“, afin qu’ils délivrent à leurs anciens camarades les documents attestant leur activité de Résistance.
Ex-lieutenant-colonel des Forces françaises de l’intérieur, et ancien du réseau Front national, René Roussel occupe aujourd’hui cette fonction. Le coup de Charlie l’a profondément réjoui, et il entend bien saisir l’occasion pour – citation – “emmerder les fascistes jusqu’au bout “.
” Le mouvement Front national dont le ministre m’a confié la charge de liquidateur, écrit-il au directeur de l’INPI, est titulaire de droits sur ce titre, depuis sa création en 1941.” En vertu de quoi le dépôt de Serge Martinez constitue “un dépôt frauduleux“.
En clair : tout cela se terminera devant les tribunaux. Mais, décidément, l’horoscope 99 des fachos se couvre comme un ciel bas-breton. Ils s’entre-déchiquetaient déjà, avec assez d’entrain. Déjà, Charlie leur avait piqué leur sigle.
Mais si, de surcroît, les anciens des maquis décident aujourd’hui de reprendre la bagarre, il va falloir qu’ils s’inquiètent. Parce que les résistants ne se contenteront peut-être pas de leur faire un procès. Vu leurs états de service, ils risquent aussi leur faire bouffer leur svastika, branche par branche, jusqu’à ce qu’ils sachent par coeur le chant des partisans, à l’envers et en morse.
François Camé et Anne Kerloc’h, Charlie Hebdo du 6 janvier 1999 (à suivre)
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