Charlie Hebdo rend le titre “Front national” à la Résistance

Mégret et Le Pen peuvent s’entre-tuer pour le partage du fric et des locaux. Pour le sigle du mouvement, en revanche, c’est trop tard. Il n’était pas déposé à l’INPI (Institut national de la propriété industrielle). Alors Charlie Hebdo l’a récupéré.

Vendredi 18 décembre, 16h30, dans les locaux de l’Institut national de la propriété industrielle, Charlie Hebdo vient de s’emparer du titre “Front National” sur une base légale.

La dame de l’accueil a juste affiché un petit sourire en coin. Mais elle n’a pas bronché à l’enregistrement du dépôt.

C’est mieux ainsi. Le Pen et Mégret se chamaillaient déjà pour les clefs de la boîte aux lettres, le compte-chèques et les mandats. La bataille pour le sigle, elle, aurait pu mal tourner.

Le Front historique, c’est eux. Le Front réel, c’est nous, tout le problème est maintenant de savoir qui est le Front légal “, déclarait Mégret à Libération vendredi dernier.

Dans le même temps, Marine Le Pen, fille de, et, par la même occasion, directrice du service juridique du FN, affirmait qu’elle poursuivrait tout mégrétiste qui prétendait user du titre sacré.

Tout ceci menaçait de dégénérer.

Aujourd’hui, c’est plus simple. Seul Charlie a la propriété de cette appellation. Vendredi, Les éditions Rotatives – Charlie Hebdo – ont déposé la marque “Front National” àl’Institut national de la propriété industrielle (INPI).

C’est idiot, mais les fachos avaient apparemment oublié de le faire. En novembre 1993, Bruno Mégret a bien déposé “La flamme” et “Le peuple”. En septembre 1989, il avait également déposé la marque “Circulaire de la délégation générale du Front National” – ce qui interdit à quiconque d’envoyer un document de ce type aux adhérents du FN…

F comme Charlie, N comme Hebdo

Les lepénistes ont également beaucoup travaillé. Entre septembre 1997 et février 1998, le gendre de Le Pen, Samuel Maréchal, avait même déposé à l’INPI toute une flopée de sigles plus ou moins fantaisistes (“Front indépendant”, “Fidélité nationale”, “Objectif France”). Ce qui semble indiquer que ce jeune garçon envisageait la scission depuis un bon bout de temps. Et qu’il entendait bien pourrir la vie des “putschistes” en leur coupant le sigle sous la botte.

Enfin, certains ont même, semble-t-il, déposé en 1990 la flamme tricolore qui sert de logo aux fachos – et qu’ils ont pourtant piquée aux fachos italiens du MSI.

Mais pas de trace du “Front national”.

Toutes les recherches menées sur la banque de données de l’INPI, dont certaines réalisées par des cadres de l’Institut, sont restées sans réponse. Depuis dix ans, l’appellation officielle du parti lepéniste n’a pas été déposée. Or passé ce délai, une marque dont la propriété n’a pas été renouvelée retombe dans le domaine public.

Bien sûr, le FN – pardon: les FN – peut contester notre dépôt dans un délai de six semaines. Ils peuvent arguer, c’est sûr, d’une certaine antériorité (mais qui l’emportera, du petit teigneux ou du gros blond?). Ils peuvent même tenter le coup du droit d’auteur – qui, légalement, prime sur celui de la propriété industrielle. Mais là, pas de chance. Le Pen n’a pas inventé le titre de son mouvement. Puisque, à l’origine, “Front national” était le nom d’un mouvement de résistance de la France-Nord, pendant la guerre.

Le Pen usurpateur !

C’est un détail historique. Mais fondamental. Au départ, le Front national était composé de’hommes et de femmes qui luttaient contre les nazis. Il est donc logique qu’il revienne à la gauche. Comme cadeau de Noël.

Nous passerons donc les fêtes vautrés au coin d’une cheminée. En regardant les rats, dehors, se sauter à la gorge. Ils ont déjà de quoi s’étriper – pour le partage des cotisation (40 000 adhérents, qui rapportent près de 10 millions par an), la propriété du siège de Saint-Cloud (il appartient à une société tenue par des lepénistes, mais gérée par un mégrétiste), les finances des divers instituts de formation gérés par le parti, le contrôle de la presse d’extrême droite et celui des nervis du DPS.

Mais pour le sigle, rien à faire. On ne s’offrira même pas le plaisir de le mettre aux enchères, pour voir les meutes glapir en allongeant du fric. Non. Si dans six semaines et un jour, l’INPI nous en confirme la propriété, on le gardera. Quand ils se seront tous massacrés, ça nous fera un souvenir…

François Camé et Anne Kerloc’h, Charlie Hebdo du 23 décembre 1998

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