AU VOLEUR !
C’est René Roussel qui les avait prévenu, la veille, par téléphone. “Tu peux venir, demain, 11 heures? Une conférence de presse, avec Charlie Hebdo. On a besoin de toi. ” Il ne leur en disait guère plus. Ils n’en demandaient pas davantage. Il suffisait que “on” ait besoin d’eux – comme “on” avait eu besoin d’eux pour réceptionner les parachutages, organiser les maquis, affronter la division Das Reich.
L’un s’étiait engagé avant-guerre, dans les Brigades internationales. L’autre faisait partie des groupes de saboteurs de l’Armée secrète. Un troisième s’était évadé des camps. Tous faisaient partie du “Front national” sous l’Occupation. Avant d’affronter la télé, Roussel a juste dit, sans forfanterie aucune : “On en a vu d’autres“. Evidemment.
Avec Daniel Virieux, historien, Jacques Varin, du journal de la Résistance , et Philippe Val, ils ont rappelé que le FN lepéniste, comme le dép^ot de “Front national” par Martinez, était “un crachat sur le visage de la Résistance “, “la réincarnation d’une idéologie raciste, antisémite, fasciste” contre laquelle le Front national, le leur, “avait justement combattu“. Et qu’ils poursuivraient en justice les fachos usurpateurs. Ils étaient venus courbés sur des cannesde bois. Mais, comme le disait un journaliste présent: ” Tu as vu, quand ils parlent, ils grandissent.
Quatre heures après, alors que la moitié du DPS était en train de faire sécession, au profit de Mégret, Le Pen publiait un communiqué pathétique, indiquant que, si la dénomination Front national a été “celle d’un mouvement crypto-communiste pendant la Seconde Guerre mondiale, l’antériorité en revient à ceux des partis de droite qui, à partir de 1935, s’opposaient au Front populaire.“
Certes. Mais le fait que Le Pen s’y réfère nous a remplis d’une certaine allégresse. Car ce “Front national”, regroupant les ligues des années trentes, n’était pas seulement un mouvement hystériquement fasciste (au point que m^eme le colonel de La Rocque, responsable des Croix-de-Feu, avait refusé d’y adhérer). Il a surtout été dissous, de fait, en m^eme temps que ses composantes, en 1936. Comme le “Front national pour l’Algérie française” en 1960. Comme le “Fonrt national combattant” en 1961.
C’est simple, d’ailleurs: depuis soixante-dix ans tous les Front national de droite ont été dissous. Et sur ce point au moins, nous sommes, définitivement, pour le respect des traditions.
François Camé et Anne Kerloc’h, Charlie Hebdo du 13 janvier 1999.
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