Oradour Sur Glane – 10 juin 1944

Un landau rutilant, datant des années trentes, trône à l’entrée de l’exposition. A la sortie, la caisse calcinée et criblée de balles d’un autre landau tiré des ruines du village martyr… Entre les deux, la vie du village pendant l’entre-deux guerres est retracée au travers de panneaux thématiques et de vitrines montrant des objets quotidiens. Les pièces présentées n’étaient, pour la plupart, jamais sorties des greniers des familles des martyrs.

La période évoquée au travers des vitrines et des panneaux commence dans les années 20. Ces «années folles» où l’optimisme né de l’armistice voulait obstinément conjurer le souvenir de ce qui devait être la «der des der». Le petit village d’Oradour-sur-Glane a vécu cet «entre-deux guerres» comme presque partout ailleurs en Europe, bercé d’insouciance et d’espoirs.

Vingt années d’une imperturbable quiétude rurale. La petite commune est cependant assez dynamique et s’anime au gré des manifestations musicales, sportives, familiales et festives. Avec l’entrée en guerre, après 20 années de paix aveugle, les habitants du bourg redécouvrent brutalement la mobilisation, la séparation et l’angoisse pour les proches partis au front. L’occupation allemande, la révolution nationale du maréchal Pétain, la clandestinité de la résistance, l’exil des prisonniers et l’accueil des réfugiés bouleversent le quotidien des Radounauds. L’espoir renait en 1944, début juin, quand on apprend la nouvelle du débarquement allié en Normandie. Mais il est de courte durée, puisque quelques jours plus tard, un détachement du régiment SS «Der Führer», en déplacement, s’arrête à Oradour. En quelques heures, le village est pillé et incendié, et quasiment tous ceux qui s’y trouvaient sont assassinés. Le samedi 10 juin 1944 au soir, il n’y a plus âme qui vive à Oradour-sur-Glane.

Une oeuvre collective

Sur 642 victimes de cet acte de barbarie, 263 étaient des enfants et des jeunes de moins de 21 ans. Si les familles d’Oradour ont reçu l’hommage de la France entière après le massacre, aucune aide psychologique ne leur été apportée. Hors d’un cercle restreint, ces familles n’ont pas pu parler de leurs morts parfois jusqu’à aujourd’hui. Privées de sépultures distinctes, les survivants eurent beaucoup de mal à faire le nécessaire travail de deuil, la mémoire individuelle se perdant dans une horreur globale.

Cette exposition est «une oeuvre collective», insiste Anne-Dominique Barrère, la directrice du Centre. Le «commissaire», qui en supervise habituellement l’élaboration, a été remplacé par un groupe de travail chargé de contacter les familles, et de collecter objets et témoignages. «Nous avons dû faire des choix parmi plus de cents objets qu’on nous a confiés, explique Anne-Dominique Barrère. Nous ne pensions pas que les gens avaient pu garder autant de documents et d’objets dans leurs greniers. Ils nous ont ouvert leur porte et leur coeur. Cette exposistion n’a été rendue possible que grâce aux familles et leurs morts, qui sont aujourd’hui passés dans la mémoire collective. Il a d’abord fallu faire un long travail d’identification. Nous avons trouvé le fil conducteur de l’exposition dans les cahiers où les instituteurs demandaient aux enfants de noter les évènements importants de la vie du village.»

Ranimer les ruines

Le souvenir de cet univers est évoqué au travers d’objets et de documents originaux, regroupés en thématiques relatives à l’enfance dans le village : la salle de classe (avec de nombreuses pages de cahiers d’écoliers, véritables reflets d’une époque et d’un enseignement), la cour de récréation (jeux, jouets et objets divers), les loisirs, l’aide aux parents (permettant une approche des ressources locales : agriculture, ganterie,…), la vie religieuse, politique et sociale…

Lors de l’inauguration de l’exposition, la force évocatrice de chacune de ces pièces a arraché des larmes à certains survivants du massacre et aux descendant des martyrs. D’autres, comme Marcel et Renée Thomas qui ont retrouvé un cliché de leur mariage, sourient d’une nostalgie heureuse. Camille Bardet a perdu sa soeur dans le drame. Denise bardet, institutrice à Oradour lors du massacre, a péri dans l’église le jour de ses 24 ans… Ce qu’il attend de cette exposition? «qu’elle fasse revivre une époque et la façon dont vivaient les gens. Ma soeur était quelqu’un d’exceptionnel, je suis heureux qu’on parle d’elle. Les gens dont on parle restent, d’une certaine façon, vivants. La préparation de cette exposition, la recherche d’information, m’ont permis de retrouver des amies de ma soeur, d’en parler… Je n’ai pas parlé d’elle pendant longtemps, ma mère en parlait tellement… Mais je recommence à l’évoquer.»

«Chacun comprendra bien la sensibilité et l’émotion des amilles qui ont confié leurs objets personnels pour cette exposition, souligne Claude Milord, le président de l’Association Nationale des familles de martyrs, avec des trémolos dans la voix. J’espère qu’elle fera mieux comprendre Oradour…»

L’exposition s’inscrit dans le cadre de la thématique des enfants dans la guerre, retenue par le Centre de la Mémoire comme fil conducteur de ses cycles d’exposition et de conférences jusqu’à la fin de l’année 2001.

Sylvain COMPERE – Le populaire du centre du Lundi 20 Novembre 2000

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