Oradour Sur Glane – 10 juin 1944

120 voix pour Le Pen dans la cité martyre

Eglise blanche, mairie moderne, bourg propret. Oradour-sur-Glane est une ville neuve. Non loin de ses paisibles commerces et de ses habitations ordinaires, des murs à moitié effondrés, des échoppes devenues ruines et des carcasses de voitures témoignent d’un passé récent qui crie encore sa douleur. Le 10 juin 1944, la barbarie nazie a saigné à jamais l’âme du village. Ce jour-là, 642 habitants, hommes, femmes, enfants ont été fusillés ou brûlés. Au nom d’une idéologie de haine dont la résurgence n’en finit pas d’indigner.

Dans cette ville de mémoire, Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret ont recueilli à eux deux près de 12% des suffrages, pratiquement le double du score de Le Pen en 1995.«J’avais déjà été stupéfait, rapporte Raymond Frugier, en apprenant, aux dernières municipales, qu’un candidat FN se présentait contre moi… mais là ! Quand j’ai vu, au dépouillement, la proportion de bulletins «Le Pen», j’ai compris qu’il se passait quelque chose au niveau national. »

Plus que toute autre commune, estime Raymond Frugier, Oradour a des raisons de comprendre le danger qui rôde : « nous avons été les victimes du régime nazi et c’est forcément l’angoisse qui nous étreint quand nous en voyons réapparaitre les prémices». Pourtant, le maire se refuse à penser que ces 12% représentent réellement un vote idéologique : « c’est essentiellement, je crois, j’espère, un vote protestataire. L’une des preuves en est que 14% des gens se sont également exprimés pour l’extrême-gauche. C’est, en somme, le refus du système en place même si les deux idéologies, évidemment, n’ont rien en commun.»

Au-delà de ce constat «déplorable», Raymond Frugier veut croire que le sursaut aura lieu le 5 mai dans les urnes. Mais «il faut entendre les mécontentements. Dans l’histoire, à chaque fois qu’on a pas pris garde au mécontentement, on a favorisé des régimes fascistes ou radicaux. Aujourd’hui, le danger n’est pas virtuel. Il ne faut pas s’amuser avec ça, il faut arrêter ces petits jeux politiciens, ces petits calculs qui font passer les ambitions personnelles avant les intérêts nationaux. Or, je constate que la classe politique, pour une part, continue a disserter comme si ne rien ne s’était passé, à faire sa sauce électorale, à parler déjà des législatives… Et il faut aussi qu’on arrête de nous dire que Chirac va faire 80% et gagner facilement. On ne peut pas afficher une telle indifférence, il faut une vigilance absolue.»

A Oradour, c’est le silence, la honte peut-être. Quand on leur demande ce qu’ils pensent du résultat, les habitants baissent le regard, semblent gênés : «pas de commentaire».

«Pour les gens ordinaires, ce qui a été montré de Le Pen a complètement lissé le personnage, estime le maire. Et lui, il a joué sur cette nouvelle image. Quand le débat sur les 500 signatures était d’actualité, j’ai reçu un coup de fil d’une dame qui s’est présentée au nom du FN pour me demander mon parrainage ! Je lui ai demandé si elle était sérieuse, comment elle osait… et je lui ai raccroché au nez : «Un peu de décence, madame ! »

En jouant ce jeu de l’innocence, de la respectabilité et en s’offrant, médiatiquement, une sorte de nouvelle virginité, Le Pen a réussi à tromper son monde : «Mais encore une fois, plutôt que de condamner les électeurs ou les abstentionnistes, il faut leur expliquer.» Avec l’artiste Daniel Kelder, Raymond Frugier envisage de monter un spectacle pédagogique pour sensibiliser les habitants d’Oradour.

Parce que même dans une commune où se dressent un village martyr et un «Centre de la mémoire», il faut expliquer, expliquer et encore expliquer. Soixante-dix ans après, le discours de Nuremberg est de retour.

Remember.

Stéphane Marmain, l’Echo du Vendredi 26 Avril 2002

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