“Charlie” met la main sur le Front national (suite)

Au tribunal, Charlie en invité surprise

Soudain, l’avocat de Le Pen s’est mis à bredouiller. Me Laviolette-Slanka avait tout prévu : les arguties des mégrétistes, la bataille (sordide) sur le règlement intérieur du parti facho, les engueulades (minables) sur le congrès extraordinaire. Mais pas ça.

Mardi 12 janvier, Le Pen faisait aux mégrétistes un procès en référé, pour leur interdire l’utilisation du terme “Front national”. L’audience était prévue à 9 h 30. Mais, à 9 h 25, surprise. L’avocat de Charlie Hebdo, Me Malka et celui des résistants, Me Borker, déboulaient chez le président pour déposer des “conclusions volontaires“. Revendiquer la dénomination “Front national”. Et intervenir à l’audience.

Jolie séance. Lorsque Richard Malka a déclaré : “Nous sommes très étonnés que ces deux parties se disputent l’utilisation de cette appellation, puisqu’elle nous appartient“, il y a eu des rires dans la presse. Quand il a cité Le Petit Robert (“FRONT NATIONAL : Mouvement de résistance française à l’occupation allemande, créé en mai 1941”), il y a eu un mouvement d’étonnement dans la salle. Comme si on ouvrait brutalement la fenêtre pour chasser les miasmes.

Quand Me Borker a rappelé qu’en tant qu’ancien du Front national de la résistance il avait, en 1944, libéré le Palais de justice les armes à la main, il y eu un silence.

Bilan : vendredi, le tribunal a jugé qu’il n’y avait pas urgence à départager Le Pen et Mégret. Et les a renvoyé à un procès sur le fond. C’était prévisible. Mais la justice a surtout jugé les demandes de Charlie et des résistants aussi recevables que les leurs. Et cela ouvre la porte à une belle bagarre…

Le Pen revendique sa dissolution

Il ne savait plus quoi dire. Alors il a improvisé. Mardi 12 septembre, Me Laviolette-Slanka a indiqué, vaguement, qu’il y avait eu un Front national avant guerre. Le Pen l’avait déjà dit, d’ailleurs. Le premier FN était composé de “partis de droite qui, à partir de 1935, s’opposaient au Front populaire“. Le Pen a tout bon. Ce Front-là a bien existé. Et on osait à peine espérer qu’il y ferait référence. D’abord parce qu’on peut difficilement faire plus facho que ce mouvement. Au point que même le colonel de La Rocque, des Croix-de-Feu, refusa qu’un seul de ses hommes n’y adhère.

Ce “Front national” a été crée peu après le 6 février 1934, date à laquelle les ligues tentèrent de renverser la République. D’emblée, il rassemble tout ce qu’on fait de plus affiné dans le fascisme français : Solidarité française, de François Coty ; les Jeunesses patriotes, de PierrreTaittinger, inspirées par Mussolini ; les Chemises vertes de Dorgères, prônant une “dictature paysanne“. Le tout enrobé avec l’Action française de Charles Maurras. Quand Maurras sort de prison, en juillet 1937 – il vient de purger six mois pour appel au meurtre, la routine -, le Front national organise une petit boum. A la barre des orateurs : Xavier Vallat et Louis Darquier de Pellepoix – qui se succéderont au poste de commissaire général aux questions juives sous Vichy. Darquier est alors fondateur d’un “Club national contre les métèques” et d’un “Comité antijuif” dans lequel il propose que les Juifs soient “expulsés ou bien massacrés“. Dans son genre, un précurseur. Bien sûr, ce FN-là s’est perdu dans les tréfonds de l’histoire de la collaboration. Mieux : les ligues qui le composaient furent dissoutes en 1936. En arguant de cette antériorité, Le Pen revendique donc son appartenance à ces organisations criminelles, illégales et dissoutes… On vous le disait : il a tout bon.

François Camé et Anne Kerloc’h, Charlie Hebdo du 20 janvier 1999

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