Dans la grande malle aux souvenirs d’Oradour-sur-Glane, Denise Bardet tient une place particulière. Institutrice riche d’une culture hors du commun, elle parlait déjà, en pleine guerre, de rapprochement entre les peuples. Elle décèdera le 10 juin 1944, le jour de son anniversaire.
Dans l’imaginaire collectif, Oradour résume toutes les horreurs de la guerre. Le massacre, le village martyr y sont invariablement associés comme si l’histoire de la bourgade restait cristallisée à une date.
Au-delà de la tragédie, le Centre de la mémoire a voulu partir à la pêche aux souvenirs en interrogeant ceux qui étaient alors des enfants.«L’enfant, thème central de cette année, a été pris comme fil conducteur pour retracer la vie d’Oradour avant la guerre», explique Anne-Dominique Barrère, directrice du groupe de travail réuni pour l’occasion.«En amassant des objets très conservés comme des reliques, on va pouvoir recréer la vie, l’économie mais aussi tout l’univers de l’enfant : l’école, les rites religieux, le temps libre, la vie associative».
A chaque réunion, les objets retrouvés par Benoît Sadry, secrétaire adjoint de l’association des familes des martyrs d’Oradour, font ressurgir chez les membres du groupe de travail (voir par ailleurs) un ensemble de souvenirs liés à la vie d’antan. On se rappelle «des bals, tous les dimanches, de la forte activité économique liée à l’industrie gantière de Saint-Junien. Et des concoursde pêche attirant des trams entiers de pêcheurs qui traversaient le village à gaules déployées comme une procession de la joie de vivre».
«Dans les réunions, les gens se reconnaissent dans ces tranches de vie», indique Benoît Sadry. Tout un travail de mémoire qui pendant longtemps, pour beaucoup de ces enfants d’Oradour, est restée enfouie, comme une émotion secrète dont aucune oreille ne pourrait recueillir la confidence. «Puis le film de Wilmart a tout débloqué», rappelle Robert Hébras, l’un des rescapés d’Oradour pour qui le document historique a permis de verbaliser des années de silence. Sans toutefois verser dans le sensationnalisme.
L’exposition sur laquelle réfléchit le centre de la mémoire, et que l’on pourra voir à l’automne prochain sera bien loin du voyeurisme. Des thèmes distinctifs encadreront cette reconstitution et permettront de mieux comprendre la vie d’un bourg rural du Limousin tel que les enfants le voyaient. Âgé de 14 ans ou 18 ans à l’époque, ils apportent une explication supplémentaire replaçant un peu plus l’évènement dans son contexte. On a ainsi retrouvé des dissertations, des cahiers d’écoliers, des jouets conservés comme autant d’attachements matériels à un être disparu et qui sont également des témoignages d’une vie rurale au milieu du siècle. Cet amas d’objets, sortis des armoires, portent en eux la marque d’une émotion douloureuse. «Cette exposition ne sera pas triste», souligne pourtant Anne-Dominique Barrère. «Elle parlera de la vie mais ne sera pas larmoyante. Elle retracera les faits».
Même si, là encore, plus de 50 ans après le massacre, le travail de groupe, à la recherche des souvenirs, prend parfois d’autres chemins que ceux initialement prévus. Car la vie d’antan bute inévitablement sur le mur du drame. De l’avant-Oradour, la parole s’échappe de temps à autres. «Les premiers jours qui ont suivi, avec un millier de personnes ayant échappées au massacre mais qui restaient sans rien… La peur au moindre bruit… Ces semaines d’après, jusqu’à la libération de Limoges, lorsque l’occupant tait toujours là… Les mères inconsolables d’avoir perdu leur enfant…» A Oradour, 209 enfants de moins de 14 ans et 54 de moins de 21 ans trouvèrent la mort dans l’église du village.
J.D. Echo du Centre du Mercredi 9 Août 2000[ RETOUR ]
«On a d’abord dégagé la thématique en disant aux membres de l’association ce que l’on attendait de l’exposition. Je suis ensuite allé frapper à la porte des gens pour leur demander de nous fournir des jouets ayant appartenus aux enfants d’Oradour ou des photographies d’avant le massacre. Elément important : tout le monde a participé, personne n’a refusé de prêter des objets. C’est comme ça qu’on est tombé sur des objets insoupçonnés, comme cette partition musicale retrouvée dans un carton. A présent, on est à la tête d’une mine d’informations même si la quête continue…» Benoît Sadry |
«On a d’abord fait une recherche historique auprès des archives municipales de Limoges et des archives départementales de la Haute-Vienne. Parmi la masse de documents que l’on a accumulée, on va faire un tri le plus équitable possible, en évitant toute «sur-représentation» de telle ou telle source. Ensuite, viendra la mise en scène de l’exposition pour laquelle on va sans doute fractionner la salle. La visite d’«Un siècle d’enfance parisienne», à l’Hotel de Ville de Paris nous a donné quelques idées, pour retracer le plus fidèlement possible la richesse culturelle de l’Oradour d’avant» Emmanuelle Balot-Pascal |
Placé sous la direction d’Anne-Dominique Barrère et d’Emmanuelle Balot-Pascal, le groupe de travail réuni par le Centre de la mémoire a voulu regrouper des personnes dont l’histoire personnelle a été traversée par le drame : Robert Hébras, Jean Lamaud, gardien du village martyr, Camille et Lucette Morliéras, le trésorier et son épouse de l’association des familles des martyrs d’Oradour, Benoît Sadry, le secrétaire-adjoint, André Roumilhac, Camille, Simone et Jean Bardet, les écrivains Albert Valade et André Desourteaux, Hélène Bureau et Hervé Machefer. |
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